vendredi 9 novembre 2012

Sandy: deux poids deux mesures (publié dans la Marseillaise)

Tribune de Philippe Breton, publiée le jeudi 8 novembre 2012 dans la Marseillaise sur le traitement médiatique du passage de l'ouragan Sandy aux Etats-Unis et dans les Caraïbes (Cuba, Haïti).
En matière de catastrophes, c’est la règle tacite que la plupart des médias observent. Un cyclone dévaste Haïti, on en parle, bien sûr, mais tout cela s’inscrit sur le registre de la fatalité qui touche, c’est normal, le tiers-monde.
On passe rapidement. Le même cyclone dévaste la côte Est des Etats-Unis et la couverture médiatique s’emballe, on ne parle plus que de cela, comme d’une profonde injustice qui touche ce monde pourtant si civilisé. Est-ce l’ampleur des dégâts qui explique cette différence de traitement ? Il est vrai que cette tempête risque de couter cinquante milliards de dollars aux USA et que le nouveau président aura fort à faire pour gérer l’après-crise. Vous aurez remarqué comme moi à quel point il y a eu tout de suite une focalisation sur l’estimation (dix, vingt, trente, cinquante milliards ?) chiffrée du montant des préjudices matériels.
A Cuba ou Haïti, c’est sûr, ce coût est largement inférieur : il n’ y a pas grand chose à détruire… Mais lorsqu’une famille de paysans pauvres perd son maigre bétail et sa maison de tôle, le préjudice humain, comme la quantité de peine et de souffrance qui va s’en suivre, est infiniment plus grand que celui du couple issu des classes moyennes qui a perdu sa voiture ou son bateau. Sans compter que l’assurance prendra en charge pour le second ce qui restera à la charge du premier. Tout est dans la force du symbole, New York est bien plus haute dans l’échelle de la valeur symbolique que Port aux Princes. Et puis, la campagne électorale, qui vient de se conclure par l’élection du nouveau président, a ajouté un piment supplémentaire. Il n’empêche, nous mesurons plus facilement les catastrophes au poids absolu des pertes matérielles qu’à la valeur relative mais essentielle des souffrances humaines.
Que la bourse de Wall Street ou le fameux métro new yorkais aient les pieds dans l’eau, semble plus compter que l’inévitable et terrible épidémie de Choléra qui suit généralement un désastre de ce type dans les caraïbes. La souffrance humaine est dévalorisée à nos yeux et qui se souvient des quelques 300 000 victimes noyées par le tsunami qui a ravagé l’océan indien. Le pire est sans doute le bilan laissé dans l’ombre médiatique de quelques grandes guerres civiles, épouvantablement meurtrières.
Ainsi le Congo est ravagé depuis plusieurs années par un conflit politicoethnique et le bilan d’un million et demi de morts, essentiellement de personnes non-combattantes, est régulièrement donné par les spécialistes. On avance généralement, pour expliquer cette cécité médiatique que cela se passe loin de tout, qu’on n’en a pas d’image et que donc, d’une certaine façon, cela n’existe pas. Il est vrai que face aux centaines de milliers de photos prises par des téléphones portables et relayées par Facebook et autres réseaux sociaux, de chaque trou d’eau laissé par le cyclone à New York, les rares documents dont on dispose par exemple sur les massacres à la frontière du Congo et du Rwanda, ne pèsent pas lourds. Ce phénomène de deux poids deux mesures délimite, d’une façon profondément injuste, la limite de notre humanité et de notre compassion.

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