lundi 5 novembre 2012

Tribune: En finir avec la loi "pieds secs, pieds mouillés (Sébastien Madau)

La réforme migratoire annoncée par l’Etat cubain rend encore plus obsolète la politique des Etats-Unis vis-à-vis de l’île.
 
Mardi 16 octobre 2012. Le quotidien Granma, organe du Parti communiste de Cuba, annonce une réforme de la loi migratoire très attendue. A partir du 14 janvier 2013, les Cubains n’auront plus besoin de permis de sortie pour se rendre à l’étranger. Un passeport suffira. Exit aussi la lettre d’invitation que devait payer l’invitant. La réforme s’inscrit dans le cadre des mesures impulsées par le président Raul Castro depuis son élection en 2008.
La mesure s’inscrit dans l’actualisation du socialisme cubain. Après 20 ans de crise, depuis la chute de l’URSS, on peut légitimement parler de nouvel acquis. Cuba fait le pari de considérer son immigration comme un acteur potentiel de son développement.
Cuba a souvent été montré du doigt par les pays occidentaux pour sa politique migratoire, jusqu’à qualifier l’île de prison tropicale. Mais jamais ceux qui avaient été si prompts à diffuser la critique n’ont voulu avoir une vision objective du phénomène.
En effet, au début de la Révolution, Cuba a formé du capital humain et réglementé les flux migratoires afin de limiter la fuite des cerveaux, dans la santé, l’éducation ou la recherche. En 1960, l’île avait perdu 3 de ses 6 millions de médecins. « Les dispositions pour réguler les flux migratoires du pays ont été adoptées dans des circonstances imposées par les agressions qui dans ce domaine ont été appliquées par les différentes administrations nord-américaines » lisait-on dans l’éditorial de Granma.
Bon nombre d’observateurs des relations cubano-américaines estiment que la réforme cubaine permettra de mettre à jour la réalité des conditions d’obtention de visas. Ainsi, la mesure cubaine n’enlève pas l’obligation d’obtenir un visa du pays étranger qui continuera d’avoir le dernier mot. Les nations occcidentales seront-elles disposées à délivrer demain des visas à tous ceux qu’elles considéraient hier comme prisonniers dans leur propre pays ?
Et les Etats-Unis mettront-ils fin à leur politique discriminatoire vis-à-vis de Cuba ? En effet, depuis 1966, existe la « loi d’Ajustement cubain » également appelée « Pied secs, pieds mouillés ». Alors que Washington opère une politique migratoire stricte envers les autres migrants -notamment mexicains- les Cubains reçoivent eux un véritable appel à l’immigration clandestine : ceux qui réussissent à atteindre le sol américain se voient remettre dans l’année des papiers, la possibilité d’obtenir la citoyenneté américaine ainsi qu'un numéro de sécurité sociale, des facilités en termes d'accès au logement et aux denrées alimentaires.
L’appel d’air a poussé les Cubains à se lancer littéralement à l’eau (on se souvient de la crise des balseros de l’été 1994) plutôt que de s’engager dans des démarches administratives légales.
Plus que jamais, la réforme migratoire cubaine rend obsolètes toutes les tentatives de destabilisation mises en place par les Etats-Unis contre Cuba. Il faut non seulement en finir avec la « loi d’Ajustement cubain », mais que les Etats-Unis s’engagent enfin à respecter les accords migratoires existant entre les deux pays. Pour exemple, entre 1985 et 1994, alors que les accords de 1984 auraient dû permettre à 100 000 Cubains d'obtenir un visa, seulement 11 222 en ont effectivement obtenu ; Washington refusant jusqu’à 80% des demandes légales de visas. Les derniers accords en vigueur datent de 1995. Les Etats-Unis s’engagaient à octroyer au minimum 20 000 visas par an. Or, ce seuil n’a jamais été respecté non plus (une moyenne d’à peine 14 000 visas annuels entre 1995 et 2008). Le non-respect des accords de 1994-1995 ont ainsi favorisé l’immigration illégale de Cuba vers les Etats-Unis et la mise en danger des candidats au départ.
Plus que jamais les Etats-Unis doivent en finir avec cette arme législative directement héritée de la guerre froide. Cela serait enfin un acte concret en vue d’une éventuelle amélioration des relations entre ces deux pays distants d’à peine 145 km.

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